LES DOMMAGES DE GUERRE A GOEULZIN APRES LA GUERRE 1914-1918
La 1ère guerre mondiale a causé des dégâts matériels très lourds dans notre village comme dans les villages voisins.
Quelles sont les destructions dues aux Allemands pendant l’occupation mais aussi provoquées par les Canadiens lors de la libération en octobre 1918 ? Combien de maisons sont détruites, endommagées ou simplement détériorées ? Lesquelles ? Qu’ont perdu les habitants lors de ce conflit ? Qu’ont-ils reçu comme indemnités en compensation ?
Une source précieuse, jusqu’alors non utilisée, nous fournit de nombreux renseignements sur ces questions : ce sont les dossiers de dommages de guerre obtenus par les Goeulzinois et conservés aux Archives du Nord à Lille[1].
236 personnes déposent un (ou des) dossier(s) pour obtenir des dommages de guerre situées sur notre commune. La loi du 17 avril 1919 sur la réparation des dommages causés par les faits de guerre permet aux victimes de ces dégâts d’obtenir des dédommagements financiers après en avoir fait la demande. Elle classe les préjudices subis en trois catégories que nous étudierons successivement pour mieux comprendre la nature des dommages.
1 = LES DOMMAGES DE 1ère CATÉGORIE :
Ils comprennent « toutes les réquisitions opérées par les autorités ou troupes ennemies, les prélèvements en nature effectués sous toutes formes ou dénominations, même sous la forme d’occupation, de logement et de cantonnement ainsi que les impôts, contributions de guerre et amendes dont auraient été frappés les particuliers ou les collectivités ».
- Les réquisitions opérées par les Allemands contre la remise de bons non payés.
Ils prennent des récoltes (blé, avoine, foin…) et des animaux (chevaux ̶ au moins une soixantaine ̶ plusieurs dizaines de vaches, veaux, porcs et poules) destinés en priorité à l’alimentation des troupes d’occupation mais aussi au transport pour les chevaux.
Ils s’approprient aussi le matériel des fermiers ainsi que celui des artisans et commerçants : des chariots et voitures pour le transport avec les harnais, une chaudière, de l’outillage de menuiserie, du bois et des planches.
Ils saisissent également des marchandises et matières premières chez un épicier, un serrurier-zingueur et des menuisiers.
La valeur des produits réquisitionnés s’élève à 423.529 F de 1923 (443.744€).
Les victimes sont surtout des agriculteurs (+ de 25), puis des artisans et commerçants (8). Parmi elles, les principales sont Pascal Dieulouard, brasseur avec près de 50.000 F de perte puis les principaux fermiers : Gustave Hermant, Alexandre Delplanque, Paul Quiquempois et les veuves Tantart-Franquelin Maria et Pailliez-Ghyselinck Appoline.
2. Les prélèvements en nature sans remise de bons.
- Tous les sinistrés ne précisent pas la nature des biens prélevés se contentant parfois des mentions : divers, matériel, produits, bétail sans plus d’indication.
Pour le matériel, lorsque le détail est fourni, on trouve du matériel agricole (chariots, voitures, une bascule, une moissonneuse…) et quatre bicyclettes.
Les animaux enlevés sont souvent des animaux de basse-cour (volaille, lapins) mais aussi quatre chevaux, plus de cinq vaches, deux génisses et deux veaux, trois porcs gras et même des animaux domestiques.
Les récoltes mentionnées sont rarement énoncées : une fois du blé, de l’avoine et du seigle, une autre du raisin et du foin.
Les produits alimentaires saisis sont surtout du vin (quatre fois), de la farine, des provisions et les poissons des étangs du château.
Les biens prélevés représentent une valeur de 172.101 F (180.315€), les principales victimes étant le châtelain Georges Lambrecht, des agriculteurs (dont Ernest Tabary), le brasseur déjà nommé et la commune de Goeulzin.
- Le logement des troupes ennemies est une autre forme de prélèvement.
72 logements sont occupés par des Allemands, soit environ 1/3 des maisons villageoises. Dix huit personnes perçoivent plus de 1.000 F d’indemnité. La somme allouée varie selon le nombre de soldats logés, le grade (officiers ou simples soldats), la durée d’occupation.
Les personnes les plus indemnisées sont Louis Lefebvre, propriétaire de la villa du Moulinet (10.000 F pour 4 ans d’occupation) et le locataire du château (André Debayser, un industriel lillois) qui louait les mois d’été qui obtient 8.000 F. Viennent ensuite P.Dieulouard (3.000F mais pour la période d’octobre 1914 à avril 1917), les onze principaux cultivateurs dont les grandes fermes logent plusieurs soldats, un charron et un instituteur. Le châtelain, G.Lambrecht réclame 26.710 F pour le logement de son château durant toute la guerre mais on ne sait pas s’il les touche.
A combien s’élève le nombre de soldats logés ? Ne connaissant pas les modalités d’indemnité aux victimes pour le logement, on ne peut pas l’estimer précisément. En tout cas, il est certainement de plusieurs centaines.
3. Les impôts établis par l’ennemi se divisent en deux catégories.
- Les contributions de guerre en espèces sont versées par les Goeulzinois pour être rapatrié en France après l’exode d’avril 1917. La plupart d’entre eux la donne aux Allemands lorsqu’ils sont réfugiés en Belgique en septembre 1917, une somme comprise entre 41 F et 150 f variable selon le nombre de personnes transportées en chemin de fer.
- Des amendes sont infligées à 18 Goeulzinois, surtout pour des chiens non déclarés, des infractions aux règlements, pour défaut de balayage et une pour de l’avoine cachée.
2 = LES DOMMAGES DE 2ème CATÉGORIE.
Ils concernent les « enlèvements de tous biens meubles et de tous objets tels que récoltes, animaux, arbres et bois, matières premières, marchandises, meubles meublants, titres et valeurs mobilières, les détériorations ou destructions partielles ou totales de récoltes, de marchandises, et de tous biens meubles, quels que soient les auteurs de ces enlèvements, détériorations ou destructions, les pertes d’objets mobiliers, soit en France, soit à l’étranger, au cours des évacuations ou rapatriements. »
- Les meubles meublants, literie, linge, effets personnels, objets d’utilité ou d’agrément.
124 personnes déclarent cette perte (dont deux personnes morales : la commune de Goeulzin et la société de tir « le rappel »). L’immense majorité subit ce dommage pendant les jours d’évacuation du village (entre le 15 avril et le 19 avril 1917). Un Goeulzinois est évacué le 15 avril, quatre le 16 avril, trente-neuf le mardi 17 avril, trente-quatre le 18 avril et trente-quatre le 19 avril, un départ étalé en plusieurs jours probablement faute de chariots, de chevaux et peut-être de trains suffisants.
Le total de la perte subie s’élève à 1.357.199 F (1.421.979€). Sans surprise, ceux qui obtiennent les indemnités les plus élevées sont les gens les plus aisés. Citons parmi eux Louis Lefebvre (77.000 F), Pascal Dieulouard (59.966 F), l’abbé Delerive (40.000 F) Gustave Hermant et Marie-Louise Broquet veuve Parsy Achille (35.000F) etc.
2. Les marchandises, matières premières et approvisionnements, les produits en cours de fabrication.
Ces marchandises sont perdues le plus souvent en même temps que les meubles ci-dessus. Elles peuvent être de ménage ou diverses telles que graisse pour le matériel agricole, semences, vins et liqueurs, bois et légumes etc. Dans cette catégorie, Paul Quiquempois est la principale victime (vin, champagne, alcool, matériaux de construction ̶ briques, grès ̶ bois, charbon, pannes…).
Les dommages les plus élevés sont ceux liés aux matières premières correspondantes au métier des sinistrés. Celles des charrons (F. Maillet…), des menuisiers (C. Brousse…), des épiciers (J.B Lucas…), des produits de peinture et vitrerie (A. Lucas…), de coquetier, de quincaillerie (A.Goguillon), de constructeur mécanicien (J. Duplouy), de brasserie (P.Dieulouard), d’estaminet et des toiles, batiste et linge de maison.
3. Les engrais, semences, récoltes, animaux, arbres coupés.
La perte des récoltes se passe presque toujours en 1914 et 1915. L’occupant s’empare du blé, de l’avoine, de la luzerne, des pommes de terre et des betteraves des agriculteurs et de quelques particuliers. La valeur des produits enlevés s’élève à 695.956 F (729.174€). Par la suite, les terres ne sont plus cultivées par propriété mais collectivement sous la direction d’un chef de culture. Les fermiers les plus touchés sont Alexandre Delplanque, Gustave Hermant et Ernest Tabary.
Les animaux sont perdus lors de l’évacuation. Ce sont surtout des animaux de basse-cour, des chèvres et parfois des animaux domestiques.
Les arbres détériorés sont le plus souvent des arbres fruitiers.
4. Les objets servant à l’exercice d’une profession (autre qu’une profession industrielle, commerciale et agricole).
Ce sont des outils de jardinier, cordonnier, maçon, paveur, chaudronnier, tonnelier, boulangerie etc.
Deux demandes sont spéciales : celle d’Auguste Delerive, le curé, pour les objets du culte et celle de la commune pour la perte des archives et de la bibliothèque communales.
5. Les réparations de première urgence.
Elles sont peu nombreuses (5) et pour des sommes modiques.
6. Titres et valeurs mobilières.
Dans ce paragraphe, une seule demande, celle d’Emile et Victorine Quiquempois, frère et sœur, déclarant qu’ils ont perdu 3000F en liquide, une somme d’argent cachée et volée pendant les hostilités.
3 = LES DOMMAGES DE 3ème CATÉGORIE.
Ce sont les « détériorations d’immeubles bâtis ou non bâtis, y compris les bois et forêts ; les destructions partielles ou totales d’immeubles bâtis ; les enlèvements, détériorations ou destructions partielles ou totales d’outillages, d’accessoires et d’animaux appartenant à une exploitation commerciale, industrielle ou agricole sans qu’il y ait lieu de rechercher quels sont les auteurs des dommages ».
- Les immeubles bâtis. 185 dossiers sont déposés (pour 219 habitations en 1906). Le montant des dommages est de 8.310.221 F (8.706.878€) soit les 2/3 du total des dommages.
- Il faut distinguer les immeubles détruits (43 selon les dossiers alors que la commune disait en avoir 59 et l’architecte en chef du département du Nord 24 seulement), les immeubles partiellement détruits (8 et les écoles), ceux partiellement endommagés (47) et les autres qui sont seulement détériorés (87).
- Les principales victimes sont le châtelain Georges Lambrecht (698.255F), Pascal Dieulouard pour sa brasserie et plusieurs habitations (297.381F), Jean-Baptiste Lucas, commerçant (197.799F) puis les veuves Pailliez-Ghyselinck et Tantart-Franquelin, Paul Quiquempois, Gustave Hermant et Louis Lefebvre pour la villa du Moulinet.
- Quels sont les lieux les plus touchés ? La rue du Marais est celle qui a subi le plus de dégâts : 16 maisons, plus trois ruelle Jonquet et trois ruelle Duriez, sont détruites et 16 sont partiellement endommagées. Peut-être parce qu’elle est la plus proche du canal par où l’attaque canadienne s’opère en octobre 1918.
Les rues Marteloy et d’Oisy sont aussi assez atteintes. Afin de mieux se rendre compte des immeubles détruits, je reproduis ci-dessous des parties du plan cadastral de l’époque qui permettront de voir précisément l’emplacement des maisons démolies.
- Enfin, signalons que le cimetière de Goeulzin est aussi touché. Onze dommages sont relevés pour des monuments funéraires. La commune obtient des indemnités pour le calvaire et le mur détruit en partie.
2. Les immeubles non bâtis : terres labourables, prés, bois.
76 demandes sont faites pour remettre les terres en culture et replanter des arbres.
La superficie concernée est d’environ 528 ha (plus le bois de Goeulzin), soit une superficie supérieure au territoire communal due au fait que des agriculteurs Goeulzinois cultivent aussi des champs dans les communes limitrophes (Férin, Cantin, Estrées, Arleux, Dechy, Roucourt). Les cultivateurs obtiennent 571.110F (598.359€) pour les terres labourables et un pré. Les habitants obtiennent aussi des indemnités pour leurs arbres fruitiers et Louis Lefebvre reçoit 54.008 F pour replanter en arbres de diverses essences et remettre en état le sol du bois du Mont de Goeulzin.
3. L’outillage, les accessoires et les animaux appartenant à des exploitations.
- La plupart des agriculteurs font une demande pour leur exploitation agricole (36 sur 45) afin de recevoir de l’argent pour le matériel, l’outillage et les accessoires de culture. Ils obtiennent 604.781 F (633.647€).
- 14 dossiers concernent des exploitations commerciales (dont deux pour la commune). 13 estaminets reçoivent des dommages : un au Molinel, un sur le canal, deux rue de Férin, un rue de Douai, deux rue du Marais, un sur la route nationale, un Grand-rue, un rue d’Oisy, deux sur la place et un non situé.
On trouve aussi deux charcuteries (rue du Marais et sur le canal), une boucherie rue d’Oisy, trois épiceries (exerçant aussi une autre activité soit estaminet sur le canal, mercerie Grand-rue et boulangerie rue du Marais).
La commune réclame des compensations pour la Balance publique et le pont situés sur la place ainsi que pour l’église et son mobilier.
- Enfin 15 demandes sont retenues au titre des exploitations industrielles qui reçoivent 332.853 F (348.740€). Parmi elles Pascal Dieulouard obtient les 3/4 de cette somme pour la brasserie et différents estaminets. Deux autres exploitations sont notables, celle de Jules Duplouy pour son outillage de constructeur mécanicien et celle de François Maillet pour son matériel de charron.
4. Les dépenses faites pour éviter des dommages ou les aggraver ne touchent que 9 personnes pour des dépenses faibles.
CONCLUSION. Le total des dommages pour tous les dossiers se montent à 12.872.448 F, valeur de 1923, soit 13.486.866 euros. Cette somme considérable a dû cependant encore être un peu plus élevée, quelques dossiers ne figurant pas parmi ceux retrouvés. Elle a permis le redressement et la reconstruction de notre village et le redémarrage de l’activité économique.
[1] ADN. Série 10 R 940 à 967 +10 R 1003 à 1005, 10 R 1031,10 R 3871 et 3872, 10 R 4088.
Informations fournies par M. Régis MERCIER